Quatuor pour un massacre d'Alfredo





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QUATUOR POUR UN MASSACRE

Taille standard, poids moyen, yeux sans éclat, cheveux ni courts ni longs... Monsieur Jean Batiste Glas était un individu banal, anodin... inexistant ! Et il s’enorgueillissait de l’être !
Après plus de vingt ans de lents et laborieux efforts, de patience, de travail méticuleux, il avait atteint la perfection : la transparence.
S’il faut, presque, toute une vie pour construire une personnalité, il suffit, souvent, de quelques secondes pour la détruire.
Monsieur J.B Glas venait d’en faire la triste expérience.
Et depuis il campait au milieu de la scène, sous la lumière crue des projecteurs, sous l’œil noir des gueules des revolvers.

Ce jour-là, J.B avait renoncé au colt python 8 pouces, calibre 357 Magnum. Ses dimensions (359,9 mm de long) et son poids (1694 g) le rendaient inadapté au type d’action qu’il projetait. Aussi s’était-il muni d’un colt python 2,5 pouces, un modèle d’arme plus discret, plus maniable.
Il marchait dans la rue, d’un pas assuré, droit sur sa victime, la main au fond de la poche. Son plan était simple. Quand il croiserait la femme qu’il devait abattre, il brandirait son calibre et lui viderait le chargeur en plein cœur.

Brune, grande et fine, Mademoiselle Licarena était une jeune femme très séduisante, qui faisait rêver plus d’un homme.
Adepte de l’art photographique, elle consacrait la majeure partie de ses loisirs à fixer pour les générations futures, sur du papier baryté, les images du temps présent. Les moments les plus délicieux de son existence, elle les vivait dans son laboratoire, et qu’elle guettait, avec appréhension, le cliché qui flottait dans le révélateur, lorsqu’elle contemplait, sous la lumière rouge, le résultat de son travail.
Elle était fermement convaincue que l’instantané ne constitue pas une représentation de l’objet, mais qu’au contraire il le re-présente, le rend présent, le révèle le réel. Aussi œuvrait-elle dans ce sens, et mitraillait-elle à tout va, au hasard des rencontres, de la lumière ou des couleurs. Ensuite, dans son laboratoire, à force de travail, d’agrandissements, de découpages et de juxtapositions, jaillissait le réel, s’épanouissait l’invisible réalité.
Elle avait effectué, sur des films 400 Asa, une série de prises de vue, avec un objectif de 300, c’est à dire avec un objectif qui ne couvre qu’un angle de 8°.
Huit degrés de réalité... Soixante-quatre images fixes qui mimaient le mouvement...
Derrière une fenêtre des silhouettes se dessinaient. Brusquement, une des ombres brandissait un couteau. L’autre encaissait le coup... L’assassin sortait de la maison, inspectait le voisinage...
Sur l’ultime cliché, le regard froid de l’homme fixait sans ciller l’objectif.

Elle marchait dans la rue, lentement, préoccupée par sa découverte. Le meurtrier l’avait-il vue ? N’allait-il pas tenter de la réduire au silence ? Ne valait-il pas mieux qu’elle avise, sans plus tarder, la police ?
Une voix, qui lui demandait l’heure, la tira de ses songes. Elle leva les yeux vers l’inconnu, puis, en bafouillant, le pria de l’excuser, mais elle n’avait pas de montre.
L’homme la dévisagea bizarrement. Elle lui sourit.
En une fraction de seconde, Mademoiselle Licarena avait oublié ses soucis, son œil de photographe avait repris le dessus. Elle était subjuguée par l’aspect inexpressif, incertain, de l’individu qui se dressait devant elle.

Treize ans, blond, Maximilien Rizo était un petit chenapan flanqué d’une bien étrange famille.
Personnellement, il s’en foutait que sa mère quitte l’homme avec qui elle vivait. En fait, pour dire la vérité, il était pour. Il en avait marre de ce type. Toujours à l’emmerder, toujours à lui demander des comptes... Une véritable calamité... Et ça ne s’arrangeait pas !
Maximilien attendait avec impatience les vacances qui se profilaient à l’horizon. Mais une menace obscurcissait l’avenir. Sa mère avait accepté, dans le cas où ses résultats scolaires seraient médiocres, de le confier durant huit jours à cet abruti pour qu’il l’inscrive à un cours privé !
C’était un sale tour... Un sale tour qu’il ne lui pardonnerait pas de sitôt.
Le bulletin de notes était arrivé par le courrier de ce matin. S’il se dépêchait, il pourrait le piquer dans la boite aux lettres. Il l’y remettrait après les vacances.
Manque de chance, sa mère était déjà passée par là... Ses vacances étaient foutues, il ne partirait pas, il resterait avec cet imbécile...

Trente ans, les traits fatigués, avachis par le mauvais alcool, la bière, le tabac, le froid et la crasse ; la tête sans la moindre oasis d’intelligence, Petit-Jacques semblait bloqué, à tout jamais, dans le firmament d’une vieille défonce.
Des idées, des pensées, des sentiments, on n’en trouvait pas trace chez ce zombie végétal, qui vivait dans ses zoopsies, les visions hallucinatoires d’animaux et qui ne s’exprimait que par onomatopées.

Pourquoi J.B Glas n’avait-il pas honoré son contrat ? Pourquoi n’avait-il pas liquidé Licarena ? Peut-être parce qu’il avait humé un parfum étrange ou perçu une odeur diffuse presque enivrante... Peut-être parce qu’il avait été envoûté par un sourire...
Depuis plus d’un mois qu’il fréquentait cette femme, il était devenu méconnaissable. Il était amoureux. A un point tel, qu’il avait oublié la bande de tueurs qui courait après lui.
Licarena attendait J.B assise à la terrasse d’un café. Depuis plus d’un mois qu’elle fréquentait cet homme, son attrait pour lui n’avait cessé de croître...
Maximilien descendait lentement la rue, absorbé par le souvenir de ses vacances, ruisselant d’amour pour sa mère, pour sa maman qui avait intercepté le bulletin scolaire, pour éviter les histoires, pour partir en paix.
Petit-Jacques ne fichait rien, n’allait nulle part, ne pensait à personne. Il circulait, sans but, sur une moto volée, au sortir d’un bar.
Jean Baptiste Glas traversa la rue pour rejoindre Licarena. Un sourire fleurit sur son visage.
Licarena se leva de sa chaise et fit un signe de la main à Jean Batiste.
A cet instant précis, Petit-Jacques déboula dans la rue. Il vit une femme, immobile sur le trottoir, qui tenait négligemment un sac. Il se dirigea droit sur la femme pour lui arracher son sac. Mais le rebord du trottoir dévia la trajectoire de sa bécane. Il percuta de plein fouet Licarena.
Le choc, d’une rare violence, souleva Licarena. Tel un pantin désarticulé, elle tournoya dans les airs avant de s’écrouler au milieu des chaises, la colonne vertébrale brisée, à hauteur de la dixième vertèbre.
Glas retrouva instantanément ses réflexes de tueur professionnel. Il dégaina son colt python 8 pouces calibre 357 Magnum, mais il n’eut pas le temps d’en faire usage. Une voiture freina brutalement devant lui. Une rafale de pistolet mitrailleur crépita. J.B s’effondra, le thorax déchiqueté par les projectiles, le doigt crispé sur la détente.
Le python cracha son venin d’acier.
Trois balles fendirent l’air. L’une d’entre elles pulvérisa la tête du petit Maximilien.
Petit-Jacques haussa les épaules... Plein gaz, il fonça droit devant... La vie lui appartenait.


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