Une cabine pour tout cercueil d'Alfredo





Romans et nouvelles


Biographie


Nouvelles à lire


Cliquez pour Imprimer
Il était d’humeur massacrante. Sur son visage, se dessinaient la colère et la haine qui lui tordaient le ventre.
Et cette merde durait depuis des mois !
Il avait beau protester, à en perdre la voix, menacer, taper du poing sur la table, rien n’y faisait. Invariablement la fonctionnaire lui répondait :
- C’est impossible pour l’instant... Il n’y a plus de lignes disponibles...
Il balança un coup de pied rageur dans un carton plein d’ordures, arrachant un cri outré à une vieille femme postée derrière une haie de troènes. Il éructa à son adresse une insanité où il était question de bigoudis, d’oignons et de crottes de nez, puis, sans prêter la moindre oreille aux protestations nasillardes de la vieille, il reporta ses pensées sur la jeune préposée au téléphone.
- Quelle conne ! ... Pas moyen de lui faire entendre raison ! ... Aussi plate que conne ! ... Si je la tenais ! ... Je les lui ferais gonfler ses nichons ! ... Et vite !
Il pressa le pas.
- Pour l’instant, il n’y a pas de lignes disponibles, lui avait dit le chef du centre qui avait finalement daigné se déranger.
Saloperie de fonctionnaires... Bande de fainéants ! ... Il aimerait bien savoir ce qui se passait exactement dans ces bureaux des télécommunications. Inutile qu’on lui fasse un dessin, il le devinait parfaitement.
- Toujours à se baisoter, à se tripoter dans les coins...
C’est qu’il était pas bête ! ... Fallait pas lui raconter des histoires ! ... La lui faire !

Parallélépipède à l’armature d’aluminium et aux parois de verre, bloc aux dimensions proportionnées, sculpté dans les nombres de rapports harmoniques, elle voyait et entendait des choses peu banales. Encore que, voir et entendre ne la gênait pas. Non. Ce dont elle souffrait, c’était des coups !
Coups de pieds contre la porte, coups de poing contre sa charpente, horions hargneux sur la fourche, torsions du flexible, hold-up de la caisse... La liste des sévices, qu’elle endurait, s’étoffait chaque jour.
En six mois de carrière de cabine publique, elle avait perdu toutes ses illusions sur le genre humain. Et si, au début, il lui répugnait de répondre aux attaques, maintenant elle rendait tous les coups.

A bout de souffle, ruisselant de sueur, il franchit les derniers mètres qui le séparaient de la cabine téléphonique et, insensible à ses formes parfaites, il poussa la porte.
- Une chance qu’il y ait personne ! ... L’aurait plus manqué que je tombe sur une greluche plus bavarde qu’une concierge ! se dit-il en introduisant une pièce dans la fente.
Nerveusement, il composa un numéro, puis l’oreille collée à l’ébonite, d’où s’échappait un bip-bip interminable, il balaya la rue du regard.
Une jeune femme blonde et frisée cheminait sur le trottoir d’en face. Il l’examina en détail. Elle portait une jupe très courte et d’une transparence quasi absolue. Ses yeux s’immobilisèrent sur la croupe dansante de la femme.
- T’as pas de culotte ! ... s’exclama-t-il. Si j’te tenais ! ... j’te ferais danser du cul ! ... Salope ! ...
Quand la jeune femme eut disparu, il refit face à l’appareil, et comme il jugea que la communication ne s’établissait pas assez vite, il colla une claque à l’appareil, histoire de lui secouer les contacts.
Immédiatement, les bip-bip cédèrent la place à une voix féminine.
« ...Il vient de sortir à l’instant... »
Une bouffée de colère lui tordit la cervelle. Il raccrocha méchamment.
- Qu’est-ce que c’est que cette merde ! hurla-t-il.
Il recomposa le numéro en maugréant.
- Si j’tenais la bande de fainéants qui s’occupe des cabines... Quelle bande de cons ! ...
« ...Je n’en peux plus, reprit la voix. Je le hais... Il m’a encore frappé... »
L’homme observa, d’un œil soupçonneux, l’écouteur.
- Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? murmura-t-il, la bouche en cul de poule.
Il recolla son oreille à l’appareil.
Au fil des mots, un sourire égrillard s’épanouit sur son visage. Il venait de surprendre une communication adultérine.
« J’ai hâte d’être dans tes bras... de sentir ton souffle dans mon cou... tes lèvres sur mon corps... »
- Encore une salope qui a le feu au cul ! ... se dit-il.
Cette situation, inédite pour lui, le comblait de bonheur. La respiration saccadée de la femme percutait son tympan et enflammait son imagination. Les palpitations hachées de son cœur se propageaient dans tout son corps, ébranlant jusqu’à son sexe qu’un début d’érection durcissait.
« ...Je suis impatiente de me blottir contre toi... Je meurs d’envie de te sentir sur moi... d’être prise... »
- Enfin des détails croustillants ! ...Mais qui cela peut-il bien être ? se demanda-t-il.
Car depuis le début, ce plaisant incident en fait le troublait, lui gâchait en partie sa jouissance, la voix féminine, qui résonnait dans l’écouteur, qui clamait son amour sur tous les tons, qui vouait son mari aux feux de l’Enfer, ne lui était pas inconnue.
- Qui cela peut-il bien être ? se répéta-t-il.
« Je n’en peux plus ! ... Il me dégoûte ! ... »
« Calme-toi... Hélène ! ... Calme-toi ! »
Hélène ! ... La femme se matérialisa ! La voix avait un visage ! C’était sa femme !
Il faillit réduire en miettes le téléphone.
- Salope ! ... Pute ! ... Me faire ça, à moi ! ... Ah j’ne suis qu’un répugnant salopard ! ... J’vais te les faire avaler une à une tes insultes ! ... Attends que j’te tienne !
« ... Bientôt tu seras dans mes bras... »
- Alors comme ça, pendant que j’m’emmerde au boulot tu te fais brouter la chatte ! ... Sale pute ! ... Pas étonnant que t’aies jamais le temps de faire le ménage ! ...
« ...Viens vite... miaulait sa femme. »
La valse qu’elle allait choper ! ... Il en avait mal aux mains par avance.
Alors qu’il se préparait à raccrocher, il réalisa qu’il ignorait le nom de l’immonde crapule qui sautait sa femme. Il fallait qu’il le sache !
« ...Tu ne peux pas te tromper... »
« Je crois que je le vois... Je crois que c’est lui dans la cabine... »
- Nom de Dieu !
Il tourna la tête à droite, à gauche, s’étira le cou pour mieux fouiller la rue des yeux. Cette infâme ordure se cachait non loin de là, mais où ? La rue était déserte.
« C’est bien lui. Il vient de regarder dans ma direction. »
- Où es-tu fumier ? hurla-t-il.
Il scruta de nouveau les environs. Ses yeux tombèrent sur un camion garé à une dizaine de mètres de la cabine. Le chauffeur semblait l’observer.
Il haussa les épaules. Ce type ne pouvait pas être l’amant de sa femme ! L’amant de sa femme se terrait dans une des maisons avoisinantes et l’épiait par la fenêtre. Il grimaça. Ce n’était que partie remise. Tôt ou tard, il apprendrait son identité.
« Dans quelques instants tu seras veuve... »
Veuve... Elle aimerait bien l’être cette salope. Elle aimerait bien pouvoir s’envoyer en l’air à sa guise...
Veuve ! ...
- Non de Dieu ! s’écria-t-il.
Le sens de ce mot venait d’éclore dans sa cervelle en ébullition.
Il laissa choir le combiné et se précipita contre la porte.
Mais le panneau de verre ne pivota pas sur ses gonds d’aluminium.
Il eut beau pousser, taper, secouer les montants, la porte ne s’ouvrit pas. Le mécanisme était bloqué. Il était prisonnier de la cabine.
Un ricanement métallifère retentit derrière lui. Terrorisé, il fit immédiatement volte-face. Le rire provenait de l’écouteur qui se balançait faiblement au bout du fil.
« ...Un banal accident de la route... »
La voix avait jailli du téléphone, mystérieusement amplifiée, alors que s’ébranlait le poids lourd garé à une dizaine de mètres. Les yeux exorbités, les bras tendus, comme pour se protéger, il regarda l’énorme masse s’avancer vers lui. Sa vue se brouilla. Il hurla. L’avant du poids lourd se déforma. Les phares s’étirèrent et devinrent des yeux, des yeux bleus comme ceux d’Hélène. La calandre se mua en bouche...
Il se jeta contre la porte, la frappa avec hargne. La cabine vibra...
A bout de forces, il s’effondra et se mit à pleurer. Ses larmes se mêlèrent aux gouttes de sueur qui inondaient sa figure.
Le camion approchait. Les parois de la cabine tremblèrent... Sur la route, le camion passait son chemin.

Une heure plus tard, Hélène vécut les minutes les plus horribles de sa vie.
Alors qu’elle se prélassait au lit avec son amant, comblée de plaisir, saturée de bonheur, le carillon de l’entrée retentit.
Elle n’attendait personne. Ce ne pouvait être que son mari qui rentrait plus tôt que prévu et qui avait oublié sa clef.
- Sors par la fenêtre ! ... cria-t-elle à son ami.
Elle s’habilla précipitamment et alla ouvrir la porte, avec à l’esprit, cette phrase « J’étais au fond du jardin ». Elle découvrit sur son seuil un homme en uniforme.
- Je suis chargé d’une pénible mission... Nous avons découvert, il y a peu, votre mari... dans une cabine téléphonique... Il est mort... Une crise cardiaque...

Vos commentaires

Commentaire
Nom
Mail
Recopier le code:
Le champs commentaire est obligatoire
Les commentaires apparaissent immédiatement